Carte blanche: eHealth (Le Soir du 18/03/15)
Carte blanche (Billet publié dans Le Soir du 18/03/2015)
Pour le Dr Roland Lemye, le système eHealth doit avant tout inspirer confiance chez le patient. Pour ce faire, plusieurs conditions doivent impérativement être remplies.
Haro sur le baudet, mais Frank Robben est loin d’être un baudet. Depuis de nombreuses années, il s’est vu confier des tâches qu’il a menées à bien, la Smals, la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale, eHealth pour laquelle sa gestion est actuellement en cause après sept ou huit ans.
Un jugement sévère sur l’Administrateur général d’eHealth
En réalité, il a été poulain plus que baudet ; celui de Dehaene à l’origine mais, par la suite, de tout le gouvernement. Pas question de critiquer son ouvrage ou la construction d’eHealth, c’était auprès de sa ministre Onkelinx un sujet « very, very touchy ! ».
Le rififi actuel autour de la plateforme eHealth est un véritable retournement de situation. L’opinion publique informée par la presse et le politique paraissait inconditionnelle. Pourquoi ce rififi s’acharne-t-il sur Frank Robben qui, tout compte fait, a fait son boulot de fonctionnaire et qui l’a bien fait ?
Ce qu’on peut lui reprocher, c’est qu’il a foncé non seulement sans tenir compte des sensibilités, des valeurs, des principes aussi bien des médecins, des prestataires de soins que des patients, sans crainte de fouler aux pieds les principes éthiques les plus sacrés et surtout, la nécessaire confiance du patient pour se confier au médecin. Sans celle-ci, la médecine humaine n’est plus possible.
Le but de Frank Robben était de réussir et d’aller vite mais peut-on reprocher à un fonctionnaire sa conscience professionnelle ? La question se situe-t-elle vraiment là ?
En donnant carte blanche à l’intéressé, en soutenant toutes ses entreprises, en acceptant même qu’il rédige lui-même la loi, en fermant les yeux sur les multiples conflits d’intérêts le concernant, n’est-ce pas plutôt l’affaire du gouvernement, du parlement et même du sénat ?
Est-il démocratiquement acceptable que la même personne organise le système administratif des administrations (la Smals), de la Sécurité sociale (la Banque carrefour) et les données médicales. Qu’il n’y ait qu’une personne en Belgique suffisamment compétente pour réaliser cette performance, est-ce vraiment possible ? Si oui, c’est regrettable pour notre pays qui, dans d’autres domaines, regorge de personnalités.
Quoi qu’il en soit, M. Robben a décidé que l’identifiant d’eHealth serait le numéro de registre national. Il en résulte que n’importe quelle administration peut avoir accès aux données de santé. A une condition cependant, c’est d’avoir l’autorisation de la Commission de la vie privée. Or, M. Robben en est membre permanent, il a signé lui-même des autorisations au nom de cette commission. La commission sectorielle de la sécurité sociale dont la branche santé est abritée dans les locaux de M. Robben à l’INAMI, a été nommée bien après que ces décisions n’ont été prises.
La confusion des genres n’est pas une vue de l’esprit : les médecins sont actuellement sollicités pour renvoyer les dossiers destinés à obtenir une reconnaissance d’handicap sans qu’au départ, ils se soient rendu compte que ces dossiers seraient accessibles à d’autres administrations dont le MEDEX (organisme de contrôle médical) et la CARA (organisme destiné à établir la capacité de conduire lorsqu’il y a un doute).
Vous comme moi ne souhaitons pas que certains obtiennent une incapacité de travail ni que des personnes handicapées puissent conduire un véhicule et mettent en danger les usagers de la route, mais il faut comprendre que les patients auront d’autant plus de difficultés à se confier aux médecins si leurs révélations peuvent être utilisées à un usage qui se retourne contre eux.
eHealth, ou tout autre système de communication entre médecins et même entre médecins et autres prestataires, est une nécessité. C’est une évolution inéluctable. C’est une révolution dans les soins de santé permettant à la fois un bond d’efficacité et d’efficience mais ce progrès ne doit pas compromettre la confiance du patient envers son médecin. Le système lui-même doit inspirer confiance à toutes les parties.
Dangereux manque de clarté
Il y a à cela un certain nombre de conditions. Les objectifs doivent être clairement définis.
L’objectif primordial est la communication entre médecins. La connaissance des examens réalisés, des pathologies connues, des derniers résultats permettent d’économiser du temps, de l’argent et d’être plus efficace. Personne ne met en cause cet objectif. Il est évident cependant que ces données, forcément nominatives, ne peuvent être consultées que par un médecin en charge du traitement du patient. Ce n’est pas parce qu’on est médecin que l’on a le droit de consulter tous les dossiers des patients belges d’autant plus qu’un même médecin peut être un médecin traitant à certains moments ou mandaté par un employeur, une assurance ou une banque à d’autres moments. Il y a donc là des précautions à prendre.
On peut comprendre les objectifs de santé publique mais, faut-il pour autant des données nominatives ou codées car le codage peut toujours revenir en arrière ? Oui diront certains mais là aussi il faut des assurances.
Mutuelles et sécurité sociale veulent aussi profiter des informations. Sont-elles pourtant bien placées pour juger de l’opportunité des soins, de leur coût, du choix des traitements ? Elles se font chevalier blanc en faisant abstraction des détournements et malversations dont elles se sont rendues coupables et, ce faisant, elles se positionnent surtout en gardien des deniers de la sécurité sociale plus qu’en défenseur des intérêts des patients qu’elles revendiquent cependant.
L’utilité des données médicales peut s’exprimer dans tellement de domaines qu’il est même impossible de les envisager tous. Il est clair que la qualité des soins peut en profiter.
S’il est impossible de tout prévoir, si le médecin n’a pas une vision claire de l’utilisation et de la destination des données médicales dès lors qu’elles ne sont plus confinées dans son dossier, comment pourrait-il donner une information éclairée au patient et comment celui-ci pourrait-il donner un consentement éclairé ?
Dans cette pièce, pleine d’embûches, d’inconnues, de doutes de la part des protagonistes, il fallait établir la confiance. Ce n’est pas ce qu’ont fait ni M. Robben, ni le gouvernement, ni le parlement. Il est donc grand temps que le nouveau gouvernement reprenne les choses en main.
A chaque occasion d’établir la confiance, en effet, c’est le contraire qui s’est passé. Ne revenons pas sur la confusion d’intérêt. Quand M. Robben s’est vu confier cette tâche, il a réuni tous les protagonistes à l’INAMI. Ceux-ci lui ont fait part des problèmes à résoudre, des craintes à apaiser. Une autre réunion était prévue pour y obtenir des propositions. Elle a été annulée sine die.
Le gouvernement a alors introduit des dispositions concernant eHealth dans une loi fourre-tout qui d’habitude ne suscite pas de débat parlementaire. C’était afficher le mépris avec lequel il traite la relation médecin/malade au profit de l’économie substantielle qu’il espérait pouvoir en attendre.
L’ABSyM a obtenu que ce soit présenté dans un projet à part, digne de débat mais encore une fois, l’intérêt du patient est passé après la volonté gouvernementale d’en toucher rapidement les dividendes. Le MR a proposé quelques amendements ne modifiant pas fondamentalement le projet. Seul Ecolo s’est investi mais est resté trop esseulé pour faire bouger les choses.
Le rejet d’eHealth par les patients
Devant l’inquiétude du corps médical, réuni pour l’occasion, Frank Robben a adopté un ton conciliant garantissant la sécurité (dont on ne doutait pas) mais escamotant les questions sur la confidentialité. Il répétait à qui voulait l’entendre que ce système serait facultatif. Sans doute, mais pas pour longtemps et cela dépendra du respect de l’avis des médecins et du Président, actuellement le Docteur Jacques de Toeuf, Vice-président de l’ABSyM, qui garantit le bon usage d’eHealth jusqu’à présent.
Pour l’utilisation des données à partir de registre, la loi prévoyait un comité eCare. Elle en a fait une ASBL qui ne devait avoir aucun pouvoir et où les médecins avaient… un « strapontin ». C’était d’autant plus inacceptable que les médecins auraient porté la responsabilité des décisions même celles allant à l’encontre de leur éthique sans même pouvoir s’y opposer. Leur refus a valu un enterrement de première classe à cette ASBL sans que pour autant il n’y ait de proposition alternative. Le vide allait durer trois ans.
Jusque-là, les patients n’étaient pas consultés. Il existait un comité de gestion, présidé par un médecin, certes, mais ceux-ci restaient tout à fait minorisés et ce comité de gestion, comme révélé par les interlocuteurs du Journal du médecin, était bien aux mains de M. Robben. En l’absence de contre-pouvoir, il avançait à toute allure. C’est seulement quand les fondations ont été mises en place qu’un comité de concertation incluant les patients a été institué. L’Arrêté a cependant limité ses pouvoirs et surtout précisé que ce comité n’avait aucun mandat pour revoir ce qui était déjà mis en place.
Dans cette histoire, M. Robben n’a été qu’un exécutant, de talent en ce qui concerne la partie technique et certainement moins bon concernant la partie la plus importante, l’établissement d’une confiance nécessaire à la participation des acteurs.
Le déficit de patients qui ont donné leur autorisation ne peut s’expliquer que par cette méfiance dommageable à un système souhaitable pourtant. Il faudra du temps pour la récupérer. Le Réseau de Santé Wallon, basé sur le dialogue, y a mieux réussi avec moins de budget.
Il faut cependant se rendre compte que la responsabilité de l’échec (provisoire, espérons-le) est surtout celle du gouvernement et même du parlement plus soucieux d’engranger des économies que de créer un système bénéfique pour le patient.
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