Mediquality: Médecins étrangers, les hommes de l’ombre (opinion)
Voilà maintenant quelques années que j’entends très régulièrement parler de nos hôpitaux qui seraient pris d’assaut par des hordes de médecins étrangers toujours plus nombreux.
Il faut aujourd'hui composer avec des médecins et des patients aux origines diverses et variées de quoi bousculer les habitudes des moins cosmopolites d'entre nous qui ne voient pas toujours la chose d'un très bon œil n'hésitant pas à y aller de leur commentaire plus ou moins acerbe.
D'ailleurs du côté du gouvernement fédéral, le son de cloche était le même et la priorité était de freiner cet afflux de médecins étrangers. Roumains, Congolais ou encore Marocains, mais qui sont ces médecins venus parfois de très loin ? Sont-ils compétents ? Sont-ils une main d'œuvre bon marché ? Pourquoi sont-ils si nombreux à choisir la Belgique ?
Libre comme l'air
Avant d'aller plus loin, je souhaiterais simplement rappeler qu'il existe depuis les prémices de l'Europe un accord sur la libre circulation de ses travailleurs. Ce qui veut dire qu'un Belge est tout à fait libre d'aller travailler en Allemagne et qu'un Italien a tout à fait le droit de venir travailler chez nous.
Au niveau européen cela représentait en 2017 plus de 17 millions de travailleurs qui ne travaillaient pas dans le pays duquel ils étaient ressortissants, soit autant que la population des Pays-Bas.
Concernant la Belgique, et plus particulièrement la médecine, c'est près d'un numéro INAMI sur quatre qui est chaque année distribué à un médecin étranger. Rappelons enfin qu'il existe également une importation de travailleurs extra-européens.
Pourquoi la Belgique ?
A écouter certains, on croirait notre pays est fini, en faillite, et pourtant, aux yeux des autres, il apparaît comme très attractif. Avec un PIB confortable, relativement stable économiquement mais surtout avec ce qui se fait de mieux en termes de soins de santé, il n'est dès lors pas étonnant de voir des médecins étrangers s'installer chez nous.
D'ailleurs, ce qui ressort souvent de mes conversations avec ces médecins c'est qu'en Belgique nous trouvons assez facilement une place de résident et en plus, les salaires y sont relativement attractifs, pour une charge de travail humainement acceptable, du moins pour le moment. Mais outre l'aspect salarial qui paraît encore plus évident pour des médecins extra-européens, nous n'avons pas toujours conscience de la situation politique et sanitaire que traversent certaines régions du monde. Imaginez donc que votre patrie soit déchirée par la guerre, que des tapis de bombe ont réduit les hôpitaux en tas de gravats, que des milices commettent des exactions inhumaines sur la population, la porte de sortie européenne semble alors une évidence.
Ensuite, avec un minerval à un peu plus de 800 euros et une sélection moyennement contraignante, le Belgique offre une formation de qualité durant 6 années pour un coût très modique compte tenu de ce qui se fait ailleurs en Europe. Dans certains pays les études de médecine à elles seules coûtent plusieurs milliers d'euros par an et ce y compris en Roumanie, devenu l'Eldorado des recalés franco-belges.
Nous pouvons par ailleurs compter sur des aides sociales de l'état ou de l'université pour amortir encore un peu la douloureuse.
Enfin, nous n'y pensons pas toujours de prime abord mais qu'on se le dise, la Belgique reste un pays très performant sur le plan scientifique et c'est surtout vrai en médecine, discipline dans laquelle les professeurs et les équipes de talent ne manquent pas, malgré le financement famélique compte tenu de la richesse de notre pays. Par ailleurs, une carrière scientifique en Belgique est bien plus accessible que dans beaucoup d'autres pays où elle reste confinée à une toute petite niche souvent à cause de moyens dérisoires alloués à la recherche.
Ils sont indispensables.
Que ce soit dans la capitale ou en périphérie, les médecins « étrangers » sont partout et il est évident que nous ne pouvons plus nous passer d'eux.
Surhommes et surfemmes capables de combler toutes les lacunes des plannings de gardes, traducteurs interprètes à temps plein, tampons socio-culturels, leurs qualités indéniables ne manquent pas.
Et pourtant, ils sont parfois injustement considérés tant hiérarchiquement que financièrement alors qu'ils répondent toujours présents lorsqu'il s'agit de faire le « sale » boulot. Un petit coup d'œil du côté des urgences et des gardes de nuit, même son de cloche en chirurgie, ils ne rechignent pas à la tâche parfois au détriment de leur propre qualité de vie. Ils sont donc plus qu'impliqués au bon fonctionnement de nos hôpitaux en abattant une charge de travail conséquente mais surtout ils comblent un besoin en main d'œuvre de terrain qui peine même partiellement à se résorber. Entre l'explosion du nombre de médecins retraités et une politique de limitation drastique du nombre d'étudiants en médecine, sans l'importation de soigneurs étrangers, il y a bien longtemps que nos hôpitaux auraient fermé boutique.
Victimes des préjugés
Et pourtant derrière le sourire de façade, la poignée de main chaleureuse, un tout autre monde apparaît, celui des préjugés et de ce que nous appelons communément du racisme ordinaire. Car oui, être un médecin étranger en Belgique n'est pas toujours facile.
Déjà, il n'est pas rare d'entendre les patients se plaindre du nombre de médecins étrangers, de leur accent, de leur incompétence supposée.
Mais il ne faut pas croire qu'il n'y a que dans certaines franges de la population que sévissent de tels propos. Combien de fois n'ai-je pas entendu de la part de collègues l'un ou l'autre commentaire désobligeant à l'encontre d'un confrère étranger, flirtant souvent avec de nauséabondes idéologies raciales.
Heureusement, notre génération, baignée dans la multi-culturalité semble amorcer un changement de mentalité.
Qu'ils viennent d'Europe, d'Afrique ou d'Asie, ces médecins étrangers, parfois peu considérés tant financièrement que socialement sont vitaux. Souvent plein de courage et de volonté, ils sont avant tout là en réponse à un manque d'effectifs sur le terrain et leur place dans notre société est indiscutable.
Souvenez-vous juste que vos préjugés sont une offense profondément injuste à l'encontre d'êtres humains ayant parfois subit des parcours peu enviables. S'attaquer aux médecins étrangers c'est s'attaquer à la pérennité de nos soins de santé. A une époque ou un billet d'avion coûte moins cher que le train, les frontières n'ont jamais été aussi ténues et il est absurde de faire preuve de repli sur soi.
A propos
Le Dr Quentin Lamelyn est un jeune médecin fraîchement sorti de la double cohorte et engagé dans de nombreux combats pour garantir une médecine de qualité accessible à tous. Il est membre du Comité Inter-Universitaire des étudiants en Médecine et en dentisterie (CIUM) et a récemment rejoint le Comité Inter-universitaire des médecins assistants candidats spécialistes (CIMACS). Depuis peu, il s'investit également pour l'ABSyM et s'engage sur la voie de la recherche en infectiologie, discipline passionnante dans laquelle il souhaiterait se former.
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