Pour une fois, pas un gouvernement de juristes, mais de médecins?

15 octobre 2014

Contribution du Dr Marc Moens parue dans Mediquality le 15/10/2014
Deux généralistes sont devenus ministres et un médecin-spécialiste (en gynécologie) est secrétaire d’Etat dans un gouvernement belge: c’est du jamais vu dans mes 26 ans de carrière médico-politique, et sans doute aussi dans toute l’histoire de la Belgique.

Contribution du Dr Marc Moens parue dans Mediquality le 15/10/2014

Deux généralistes sont devenus ministres et un médecin-spécialiste (en gynécologie) est secrétaire d’Etat dans un gouvernement belge: c’est du jamais vu dans mes 26 ans de carrière médico-politique, et sans doute aussi dans toute l’histoire de la Belgique. Et avec, en plus, des compétences hautement importantes: Maggie De Block (Open VLD): Affaires sociales et Santé publique; Daniel Bacquelaine (MR): Pensions; et Elke Sleurs (N-VA) secrétaire d’Etat avec une combinaison inhabituelle de compétences:Lutte contre la pauvreté, Egalité des chances, Personnes handicapées, Lutte contre la fraude fiscale, Politique scientifique, adjointe au ministre des Finances.

 

Il y a quinze ans déjà, le chirurgien Reginald Moreels (CVP), jusqu'alors secrétaire d'Etat à la Coopération au développement, devint Ministre de ce département. Maggie De Block, l'ex-secrétaire d'Etat responsable de la politique d'Asile et la Migration, de l'Intégration sociale et de la Lutte contre la pauvreté dans le gouvernement Di Rupo, et qui assuma durant 139 jours les fonctions de ministre de la Justice en affaires courantes, avait confié au Roi Philippe Ier, en marge de sa prestation de serment, qu'elle avait vu son rêve devenir réalité. Elle est, entre-temps, devenue la personnalité politique la plus populaire de Flandre et – fait hautement inhabituel pour un personnage politique flamand – elle jouit aussi d'un capital non-négligeable de sympathie en Belgique francophone. A l'instar de ce qui s'était passé au début de son mandat de secrétaire d'Etat, la Ministre a, une nouvelle fois, été immédiatement la proie de critiques visant son physique. Les critiques ont oublié ce faisant la définition de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS): "La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité.''

 

Notre nouvelle ministre n'a cependant pas attendu une minute pour s'attaquer aux véritables problèmes. Nous savions déjà que Maggie De Block s'était déjà très bien préparée à sa nouvelle fonction. Moins de vingt-quatre heures après sa nomination par le Roi, la Ministre a pris en main la réforme du financement des hôpitaux. Et elle est parfaitement au courant du fait que la grande majorité des médecins hospitaliers sont hostiles à la méthodologie et à la planification concoctées par le KCE (Centre fédéral d'expertise des soins de santé) en vue de revoir le financement de nos institutions hospitalières, ainsi que du véritable hold-up sur les honoraires des médecins qu'ont préparé les gestionnaires des hôpitaux qui menace de désarticuler complètement l'actuel système de concertation.

 

Nous ne pouvons qu'espérer que les termes ‘'dans le cadre d'une large concertation''qui s'y rapportent dans l'actuelle déclaration d'intention gouvernementale, auront un autre contenu que l'interprétation qui en était faite dans le cabinet précédent. L'ABSyM et le GBS souhaitent une véritable participation, une cogestion et non des réunions de pure forme comme c'est le cas au KCE et qui n'ont pour seul but que de proclamer haut et fort qu'il s'agit bien de concertation participative alors qu'il n'en est rien et aussi afin de pouvoir abuser du nom des participants en les utilisant comme paravents de ses propres déviations.

 

Les 22 pages de l'accord de gouvernement qui sont consacrées à ‘'unsystème desoins de santé de haute qualité, payable et accessible à tous,'' contiennent encore tous les points de friction, les ‘'dossiers qui fâchent'' des sept dernières années de l'administration Onkelinx. L'important et à la fois difficile portefeuille que Maggie De Block vient de recevoir, sans aucun doute en raison de ses compétences professionnelles, de son pragmatisme et aussi bien sûr de sa popularité, en aura fait grincer des dents plus d'un au CD&V. 

 

Les élections ont fait que le citoyen a renvoyé les socialistes dans l'opposition fédérale et, avec eux, leurs services d'études et leurs mutuelles. Le Roi a nommé une ministre des Affaires sociales et de la Santé publique qui ne doit pas danser au son des oukases de la plus importante caisse d'assurance maladie-invalidité de Belgique. Le passage de l'accord de gouvernement statuant que le modèle de concertation doit être maintenu mais dans une forme modernisée constitue déjà dans ce domaine un pas dans la bonne direction. Sera-t-il à nouveau possible pour les partenaires de l'accord médico-mutualiste de conclure un accord qui ne sera pas immédiatement compromis par les mutuelles qui auront été se plaindre auprès de leurs ministres de ne pas avoir été suivies d'un bout à l'autre et qui auront, ‘'en passant'', encore piqué quelques dizaines de millions sur les honoraires des médecins? L'ABSyM souhaite, entre-temps, prolonger encore le système de concertation qui a permis de conclure des accords depuis 52 ans déjà, mais avec la garantie de préserver les honoraires convenus pour toute la durée de l'accord. Et si le marasme financier devait s'amplifier outre-mesure, la ministre n'aura d'autre recours que celui de resserrer les boulons et de revoir les remboursements à la baisse. Ou de gommer les erreurs de la précédente responsable de la santé, par exemple en mettant fin aux investissements dans des programmes de soins cardiologiques superflus que Madame Onkelinx avait rendus possibles par son AR du 12 juin 2012. Elle navigue bien là dans les eaux territoriales des ministres communautaires, mais c'est bien la ministre fédérale Maggie De Block qui tient les cordons de la bourse. Il ne faudra pas seulement parler de la sécurité et de la qualité des prestations de soins avec les ministres communautaires, mais aussi et plus que certainement de la collaboration entre les hôpitaux. La tâche s'annonce donc plutôt ardue, car si nous connaissons encore des petites fabriques bleues, il faut bien reconnaître que les hôpitaux bleus sont plutôt rares en Belgique.

 

Des mesures sérieuses pour contrer les risques d'une éventuelle propagation de la maladie d'Ebola en Belgique ne figurent pas dans l'accord de gouvernement, mais devraient devenir possibles. Onkelinx l'antagoniste n'a plus les compétences en la matière, et son comparse De Crem a été neutralisé par sa désignation en tant que secrétaire d'Etat au Commerce extérieur. Erigera-t-on dans les murs de l'hôpital militaire de Neder-over-Heembeek un centre d'accueil Ebola digne de ce nom? Cela ne devrait pas constituer un problème insurmontable en périphérie flamande et au sein du gouvernement Michel I pour le ministre N-VA de la Défense et de la Fonction publique Steven Vandeput. A moins que ce gouvernement aurait des objections à ce que l'armée belge tombe dans les mains d'un ministre N-VA.

 

Nous ne nous rendons pas encore compte de l'ampleur du tsunami qui pourrait déferler sur les institutions belges. Mais les changements imminents qui s'annoncent nous insufflent beaucoup d'espoir et appellent notre participation. Ce n'est certes pas le moment d'attendre patiemment en coulisses sans agir et encore beaucoup moins lorsque la norme de croissance légale en vigueur de 3% pour les soins de santé risque bien d'être réduite de moitié.

 

Docteur Marc Moens, vice-président de l'ABSyM (Association Belge des Syndicats Médicaux), secrétaire-général du GBS (Groupement des Unions Professionnelles Belges des Médecins Spécialistes).

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