Littératie et littérature ou l'art pas du tout innocent d'inventer des mots inutiles
La littératie est une fonction généraliste (lire jdM n° 2656, La Belgique, un laboratoire des fonctions généralistes en médecine et en politique), fonctioncruciale dans une société où nous sommes tous pris dans des relations terriblement asymétriques de part et d'autre de barrières en tous genres.
Le Pacte d'avenir des mutuelles inscrit la littératie de la santé dans leurs missions. J'avoue que la moutarde m'est montée au nez : les mutuelles se valorisent comme mouches du coche autour des praticiens. Hélas, il y a longtemps que ces derniers ne résistent plus aux envahissements bureaucratiques du système. Les pseudo-spécialisations autour de fonctions généralistes impliquant tous les citoyens et à ce titre, aux antipodes de l'idée même de spécialisation, jouent un grand rôle dans cette dérive. Le business de la littératie me mettrait-il en colère ? Oui ! Mais j'essaie de me contenir, gare au poujadisme !
Les métiers du faire dans le réel ont besoin d'analyses, de valorisation et de coordination, rôles nécessairement éloignés dans le virtuel. Nous retrouvons toujours le même problème du déséquilibre des relations verticales dans l'organisation des soins. Pour les médecins, toutes pratiques et spécialisations confondues, la littératie offre une belle opportunité d'y réfléchir. Et pourquoi pas, avec les mutuelles et autres intervenants.
Jargon contre jargon
Les médecins consciencieux font de la littératie sans le savoir. Malheureusement, la littérature contredit ce tableau idyllique . Car la littératie a sa littérature, scientifique bien entendu. Ce sympathique sujet suscite des vocations, inspire des enquêtes et demande évidemment sa part de financement. Contrairement aux médecins qui, à quelques détails près, ont perdu jusqu'à l'idée même de rémunération pour les rapports, les discussions pluridisciplinaires et les explications aux patients. Une injustice énorme, car s'ils ne le font pas, cela leur est reproché, à juste raison. Invoquer le manque de temps, l'informatique ou la surcharge administrative les met dans une situation de plaignants passifs. Tout Pacte d'avenir des praticiens devrait corriger cette anomalie. Mais que disent les experts en littératie?
Paradoxe: pour mieux se comprendre, on commence par inventer un mot jargon!
Définition de la littératie en santé (site des Mutualités libres): capacité d'un individu à trouver, à comprendre et à utiliser l'information santé de base, les options de traitement qui s'offrent à lui et à prendre des décisions éclairées concernant sa propre santé. Le site du KCE (Centre fédéral d'expertise des soins de santé) insiste sur une définition plus large. Nous y retrouvons les trois niveaux de savoirs et de pouvoirs s'échelonnant du terrain des pratiques, le micro-relationnel, aux états-majors politiques, le macro-relationnel, en passant par la vaste zone d'associations, d'entreprises et d'administrations, le méso-relationnel. Tous devraient mieux se comprendre, littératie oblige.
Les rapports du KCE nous apprennent qu'en Belgique, une enquête des mutualités chrétiennes de 2014 révélait un niveau de littératie insuffisant ou problématique chez 41,3% de leurs membres interrogés. L'Enquête nationale de Santé de Sciensano, 2019, trouvait un chiffre moins défavorable de 33,4%. Nous apprenons aussi que la littératie érigée en discipline des sciences humaines se développe dans de nombreux pays. Voir la synthèse du KCE sur la question. L'industrie pharmaceutique s'intéresse elle aussi au sujet, comme en témoignent les HealthNest by MSD succédant aux Well Done - MSD Health Literacy Awards.
Suroccupés au niveau micro, les médecins devraient davantage s'intéresser à leurs relations verticales avec les autres pouvoirs, au risque de tout se faire dicter d'en haut selon des intérêts différents des leurs et surtout, de ceux des patients, quoi qu'en dise le slogan: le patient au centre.
À propos de l'ABSYM
Nous défendons une médecine libre avec un modèle de rémunération à l'acte, complétée par des forfaits.
Par exemple, en médecine générale, nous défendons toutes les formes de pratique et pas seulement les pratiques de groupe multidisciplinaires comme nos concurrents.
Le médecin généraliste solo doit pouvoir garder sa place.
En ce qui concerne les spécialistes, nous défendons tous les spécialistes y compris ceux qui exercent en dehors de l'hôpital.