"La clé n'est pas le dépistage, le tracking ou le confinement.... c'est l'adaptation" (Dr Gilbert Bejjani)
Qu'il y ait eu un défaut de prévoyance et de préparation de la part des institutions et des autorités cela ne fait plus aucun doute, mais le confinement qui a été installé rapidement, l'a été dans un but précis, celui de ne pas surcharger le système hospitalier pour éviter une mortalité évitable, message fondamental notamment vis-à-vis des plus jeunes parce que la mortalité de la maladie dans cette catégorie n'est pas importante en soi mais c'est le non-accès aux soins qui aurait été fatal. Quelle est la suite ?
Vivre avec
Nous allons devoir vivre avec ce coronavirus Sars-Cov-2 tant que la population n'est pas immunisée pour autant qu'elle le soit un jour, et tant qu'il n'y a pas de vaccin, pour autant qu'il arrive un jour. Cette pathologie, le Covid, n'est ni plus ni moins qu'une nouvelle pathologie infectieuse qu'il faut prendre en compte avec les autres. En cas de pics de grippe ou de pics de bronchiolites par exemple, certains services hospitaliers sont parfois saturés et les équipes y travaillent alors plus que pendant les autres périodes de l'année. Certes l'arrivée du coronavirus donne à ces surcharges une autre dimension, mais en quelques semaines, avec les mesures de précaution adéquates et le confinement nous avons appris à maitriser cette surcharge, cette vague. Mais le coronavirus ne va pas faire disparaitre, pas plus que la grippe ou le mycoplasme, les cancers ou les infarctus. Il n'est donc pas plus acceptable de causer une surmortalité évitable pour ces autres pathologies. Le NEJM* publiait justement le 20 avril un article décrivant des situations rappelant qu'il y a un risque d'une pandémie des conséquences de la non-prise en charge des pathologies habituelles. Va-t-on causer une morbi-mortalité par non-accès aux soins pour les autres pathologies ?
Eviter un dilemme éthique
Chaque personne a droit à des soins de qualité quelque soit la pathologie dont elle souffre, fut-elle le Covid ou une autre. La surcharge des hôpitaux amène les soignants à faire des choix parfois difficiles. Il est plus que temps, au travers d'une organisation nouvelle, de permettre la prise en charge de tous les patients pour éviter un dilemme éthique chez les soignants.
... ou des patients non-Covid, il y a juste des patients, des personnes avec des pathologies qui doivent être traitées et prises en charge avec le risque que certains d'entre eux soient porteurs du coronavirus ou qu'ils soient en période d'incubation de la maladie, et dont une partie développera la maladie qui devra à terme également être prise en charge en hospitalisation ou aux soins intensifs. Il n'y a en effet pas de division étanche entre les deux populations, Covid ou non-Covid, et il convient donc de prendre les précautions nécessaires dans le circuit des "personnes non infectées" pour prévenir non seulement l'infection du médecin, mais aussi pour prévenir l'infection d'autres patients et bien entendu de protéger les soignants aussi.
Par la restriction des soins au strict nécessaire, des consultations, des interventions et de tout ce qui freine la reprise des soins habituels nous avons créé une peur des soignants et au travers du confinement, une peur des hôpitaux. Notre inaction à ce stade, va accroître cette peur, tout à fait compréhensible, des patients de se rendre à l'hôpital. Certes l'hôpital concentre un peu plus qu'ailleurs des patients Covid, mais cela devrait être aussi l'endroit le plus sûr, au vu du matériel, de l'expertise et des soins qui y sont prodigués.
Une capacité intensive
Cette épidémie nous aura démontré que nous avons besoin d'une capacité intensive plus grande, comme c'est le cas en période de guerre ou dans le cas de toutes autres épidémies, que nous avons évité de justesse avec le SRAS, H1N1, MERS, etc. Il convient donc d'adapter structurellement la capacité (fixe ou mobilisable) des lits des soins intensifs pour l'année, voire les deux années à venir. Tant que cette nouvelle capacité n'est pas saturée et qu'elle permet de prendre en charge les autres pathologies aussi, il faudra adapter le confinement social, qui peut alors être allégé tout en maintenant les mesures de distanciation sociale, l'usage systématique des masques, voire des prises en charges scolaires ou au travail sur des journées ou des horaires alternés. C'est l'évolution de la situation dans les hôpitaux qui doit guider les mesures à prendre par les autorités et pas l'inverse.
Flexibilité et compétences
Nous avons aussi observé lors de cette crise le besoin de flexibilité et de souplesse dans le fonctionnement des équipes dans les hôpitaux. Cela a été facilité par le PUH (plan d'urgence hospitalier) mais il serait utile à développer et à perpétuer dans les institutions de soin. Cette requête formulée souvent par les gestionnaires l'est justement pour gérer des situations de crise, et permettre une adaptation plus rapide des moyens aux besoins. Nous avons aussi observé un besoin en compétences : tous les soignants ne sont pas capables de gérer des patients en soins intensifs, d'où la nécessité d'investir dans les formations continues, tant chez les médecins que chez les autres soignants. Il est aussi nécessaire de renforcer les équipes, comme le demandaient déjà les hôpitaux et comme il a été proposé lors des discussions sur l'usage du "fond blouses blanches". Plus d'aide-soignant-es aussi, qui peuvent jouer un rôle important, pour renforcer les équipes infirmières.
EXIT strategy : tri, tests, moyens et procédures
Le tri des patients qui se présentent dans les hôpitaux doit devenir la norme en vue de pouvoir isoler rapidement les patients suspects de pathologie Covid des autres. Un dépistage par test sera nécessaire pour les patients suspects en vue de confirmer le diagnostic et d'adapter les soins. Les tests sont un moyen mais ne sont pas une finalité. Test, test, test, n'est pas la stratégie de sortie. Un test doit avoir une finalité diagnostique ou thérapeutique, il n'est pas nécessaire en soi. Le dépistage par test sera nécessaire pour les patients suspects (comme c'est le cas pour toute pathologie infectieuse) en vue de confirmer le diagnostic et d'adapter les soins.
Le Covid nous aura permis d'insister sur les précautions habituelles de désinfection et de protection (ce qu'on fait déjà pour éviter les infections nosocomiales) et nous aura forcé à renforcer les barrières de protection vis-à-vis de de tous les patients, par précaution. Jusque-là nous prenions soins de tous les patients, sans pour autant dépister systématiquement tous les pathogènes (HCV, HIV, MRSA etc.) mais en utilisant du matériel de protection en fonction des protocoles établis tenant compte de l'épidémiologie et des thérapies existantes. Pourquoi en serait-il autrement avec le coronavirus ?
Travailler autrement, avec de nouveaux protocoles n'est pas inhabituel pour le corps soignant qui s'est en tout temps adapté aux progrès scientifiques et aux nouvelles pathologies.
En pratique, il faudra s'assurer de la disponibilité des tests, des médicaments et du matériel de protection en suffisance. Il serait possible d'adapter l'occupation des locaux et la fréquence des interventions, mais il n'est plus justifiable de ne pas reprendre en charge, au-delà des urgences et du nécessaire, l'ensemble des pathologies, en fonction des capacités de chaque hôpital.
Eriger des listes et des indications trop restrictives n'est pas une solution au problème, c'est un problème ajouté au problème. Restons souples et faisons confiance aux acteurs de la santé et à leur professionnalisme, aux directeurs des hôpitaux et aux médecins.
Evoluer ou périr
Nous devons accepter de vivre avec une incertitude sanitaire, parmi tant d'autres. Si la production agricole varie avec la quantité de pluie, les extrêmes restent toujours difficiles à accepter et la réponse adéquate n'est pas dans le contrôle la quantité de pluie mais dans l'adaptation à la situation avec des provisions et/ou des alternatives alimentaires. Ce coronavirus devrait nous inciter à réfléchir à une organisation différente plutôt qu'à l'enfermement éternel.
La clé n'est pas le dépistage, le tracking ou le confinement. C'est l'ensemble des mesures qui doivent être considérées comme des moyens dans le cadre de cette nouvelle organisation. La clé, c'est l'adaptation. Un darwinisme simple : ce n'est ni la force ni l'intelligence qui nous ferons gagner cette bataille mais notre capacité à changer et nous adapter.
Pour les autorités : gérez le confinement et les mesures sociétales, soutenez les entreprises et les indépendants, mais laissez-nous faire notre métier, et arrêtez de nous applaudir, c'est notre job ! Un peu plus d'autonomie au niveau des institutions et pour les prestataires, les professionnels de la santé, est plus que jamais nécessaire.
Dr Gilbert Bejjani
source: Le Journal du Médecin
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