Dans l'ombre des " héros ": une opinion du Dr Lamelyn

9 février 2021

La crise sanitaire que nous avons connue tout au long de l'année 2020 aura eu un impact médiatique sans précédent. En effet, il ne s'est pas passé ne serait-ce qu'une journée sans que ne pullulent de toute part nombre d'articles en tout genre relatant les récentes découvertes scientifiques sur le virus, présentant l'avis contradictoire d'un obscur expert voire se penchant sur " la vie " au sein d'une unité covid...

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Malgré les débâcles politico-scientifiques (dont nous aurions pu allègrement nous passer), la surmédiatisation de la pandémie aura permis néanmoins de faire la lumière sur les conditions de travail difficiles du personnel soignant et sur le manque de moyens auxquels doivent faire face nos soins de santé au quotidien.

 

Masques " maison " cousu à la hâte, sacs poubelles en guise de blouse et feuille plastique pour seule visière,

 

c'est avec leur tenue de bric et de broc que les valeureux guerriers des unités covid furent érigés en véritables héros, plébiscités par toute une population extrêmement reconnaissante de leur engagement.

 

Les manifestations de sympathie à leur égard n'ont fort heureusement pas manqué ! Repas offerts, " fast-pass " dans les magasins, applaudissements chaque soir et même spectacles sons et lumières.

 

Rendre à César

 

D'aucuns ne remettraient en question tout le mérite qui revient à l'ensemble de mes collègues ayant parfois (souvent) empiétés sur leur vie privée pour assurer des soins de qualité dans les unités covid, devant supporter des conditions de travail lourdes psychologiquement et physiquement.

 

Non, il est plutôt question de rendre à César ce qui lui appartient en osant mettre l'accent sur les enfants pauvres de la crise, tous ces soignants qui se sont battus contre tout le reste dans un environnement aussi labile que périlleux.

 

Je tenais donc à attirer dans un premier temps l'attention sur les valeureux médecins généralistes qui ont dû continuer à assurer les consultations vitales tout en étant scandaleusement exposés à un virus qui, compte-tenu de leur moyenne d'âge, représentait une menace conséquente pour leur santé.

 

C'est avec un matériel rudimentaire, souvent improvisé à la hâte et de nombreuses inconnues concernant notamment la transmission du virus que ces derniers, dans l'indifférence générale, ont été contraints d'affronter les patients jusqu'à le devenir eux même pour les plus malchanceux.

 

Et lorsqu'ils ne pouvaient plus assurer leurs consultations, combien de ces derniers ne sont pas venus en renfort au sein de nos institutions hospitalières ?

 

Et pourtant, point de remerciements en grandes pompes, de reportages ou d'articles dédiés pour remercier le travail considérable fourni durant la pandémie.

 

Pire, ces derniers sont peu voire pas du tout concernés par les décisions de santé publique, eux qui constituent pourtant un des maillons essentiels de la première ligne.

 

Ensuite, les médecins intra-hospitaliers ne sont pas en reste, derrière les murs des médecines non covid ou des services de gériatrie, les journées sont longues, très longues.

 

Déjà, il faut apprendre à composer avec des équipes mobiles, des volontaires pas toujours expérimentés, qui ne connaissent pas l'institution, son fonctionnement, qui ne pratiquent pas depuis longtemps ou depuis trop peu de temps. Pas facile d'exercer son " art " lorsqu'en quatre demi-journées vous voyez quatre équipes très différentes s'enchaîner sans se ressembler. L'encadrement, l'information et la formation de ces volontaires représentent une charge de travail supplémentaire considérable

 

A noter également que ces services ont dû absorber toute la patientèle " non covid ", qui avec l'arrivée de l'hiver a presque contraints certains à envisager la construction de lits superposés pour pouvoir accueillir tous les souffrants.

 

Ajoutons à ça les nombreux clusters qui ont fermé temporairement ainsi que les collègues tombés malades voir hospitalisés.

 
 

Pire encore, les cas sont devenus au fil de l'année de plus en plus lourds puisque malgré tout l'activité hospitalière aura accumulé un retard certain et la peur de venir en consultation a entraîné la relance de l'activité extrêmement laborieuse.

 

Patients isolés et oubliés

 

Parlons-en des patients : ces éternels oubliés de la crise qui à cause de deux vagues successives se sont retrouvés pour beaucoup isolés socialement, traînant des pathologies chroniques non équilibrées, des néoplasies débutants non prises en charge, des troubles psychiques catastrophiques. Résultat des courses, un case-mix catastrophique avec de malheureux quidams dans des états déplorables...

 

Je ne compte plus le nombre de certificats de décès signés depuis octobre pour des motifs non-covid témoignant de la lourdeur pathologique extrême de personnes en perdition totale.

 

Des images radiologiques de cancer qu'on ne voit que dans les textbook, des amputations en série d'artéritiques/diabétiques qui n'ont pas pu être suivis correctement, des personnes âgées qu'on a laissées croupir à la maison ou en institution (un patient interné est arrivé à 178 de natrémie !) et une crasse moyenâgeuse.

 

L'interniste avec lequel je travaille en salle et qui comptabilise 37 ans de carrière dans trois pays en témoigne, il n'a jamais vu une telle concentration de malades aussi loin dans leurs pathologies...

 

Et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, les conséquences médicales de la covid-19 ne font que commencer et il faudra maintenant gérer les dommages collatéraux d'une gestion où l'humain a été nettement mis entre parenthèses.

 

Dédain des politiques

 

D'ailleurs, quel remerciement des politiques à nos soignants pour avoir fait preuve d'abnégation ?

 

Une cachectique prime pour le personnel paramédical, qui a pourtant beaucoup souffert et surtout aucune revalorisation de leur profession. Quant aux médecins, " peanuts " comme on dit. Une démonstration supplémentaire (comme s'il en fallait) de tout le dédain dont fait preuve le politique à l'égard des soignants, juste bons à se pavaner devant les caméras et venir pérorer sur les plateaux télé.

 

Résultat des courses, aujourd'hui, beaucoup de soignants présentent d'inquiétants signes de burn-out ou de dépression pour ne parler que de ceux qui n'ont pas encore craqués.

 

La tension est palpable dans le monde des soins de santé et il ne suffira que d'une étincelle pour mettre le feu aux poudres.

 

La santé psychique et somatique actuelle de notre personnel soignant n'augure rien de bon en cas de rebond épidémiologique.

 

Il n'y a plus qu'à espérer une vaccination rapide et efficace, mais là encore, ceux qui nous gouvernent ont fait montre d'une incroyable capacité à saboter toute lueur d'espoir de retrouver une vie normale.

 

Je souhaitais au travers de cette tribune mettre juste une toute petite fois sur le devant de la scène tous les oubliés de la pandémie, toutes celles et ceux qui se sont battus pour soigner, sans se soucier de leur propre santé et qui n'ont eu droit à aucune reconnaissance puisque le non covid n'intéressait personne.

 

Merci à tous ces généralistes qui ont bravé la tempête seul ou dans nos hôpitaux, merci à tous ces médecins intra-hospitaliers qui ont dû affronter des patients lourds dans des conditions peu enviables, merci à tout le personnel paramédical pour avoir su s'adapter à toutes les situations. 

 
 
 
 
 

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