Chronique Le Spécialiste: Nous sommes prêts, vraiment ? (Dr J. de TOEUF)

13 mars 2020

En attendant d’envahir le pays, le coronavirus envahit nos esprits et les médias. Les plans de combat sont prêts, les stratégies de prise en charge définies. On expose en détail les phases 1-2- 3, et ce que médecins et patients doivent faire.
Parfait.
Et que voit-on dans le pays ?

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En attendant d’envahir le pays, le coronavirus envahit nos esprits et les médias. Les autorités accordent toute leur attention à cette menace sanitaire et réunissent les experts dans les cellules de gestion de crise, constituées au cours des épidémies de grippe précédentes. Les recommandations sont pertinentes, en ligne avec celles des organismes internationaux (OMS) et étrangers (CDC). La presse informe le public des recommandations publiées, et fait de la pédagogie.

Les plans de combat sont prêts, les stratégies de prise en charge définies. On expose en détail les phases 1-2- 3, et ce que médecins et patients doivent faire.

Parfait.

 

Et que voit-on dans le pays ?

 

La logistique ne suit plus : pénurie de masques de protection, pénurie annoncée de réactifs pour les tests de laboratoire, pénurie de gels hydroalcooliques, vols de ces produits dans le hôpitaux, constitution d’un marché noir des produits de nécessité, pillage des ressources par des traders peu scrupuleux. On « découvre » que ces produits sont fabriqués, en tout ou en partie en Chine… où la production est à l’arrêt. Résultat des choix passés par les industries (délocalisation dans les pays à bas salaires), encouragés par la demande du public de se procurer les produits au moindre coût. La leçon n’a pas été tirée de crises précédentes de la chaîne d’approvisionnement, comme celle qui a touché les héparines il y a quelques années.

 

En dépit de l’adressage d’informations via les médias, et des messages envoyés dans les boîtes mail des prestataires, les acteurs sont perplexes, et questionnent avec fébrilité les organisations et les collègues. Des médecins généralistes nous rapportent des situations paradoxales : envoi de frottis de dépistage à un labo ou de patients à un service d’urgence, les accueillant disent que le test n’est pas nécessaire et renvoient le patient, qui s’adresse à un autre hôpital où il est accepté. Les numéros d’appel des labos (de référence, donc bien trop peu nombreux) ne répondent pas. Les résultats des tests sont transmis avec retard. Etc.

 

Il y clairement rupture dans la chaîne de transmission des infos, identification partielle des destinataires. Les autorités ont mis en alerte les médecins généralistes et ont ignorés les médecins spécialistes extrahospitaliers. D’autres professions à risque, soumises aux mêmes contraintes ont été ignorées, tant pour ce qui concerne les infos que pour les promesses de livraison de masques adéquats : pharmaciens, dentistes, infirmiers, kinés, et j’en passe. Les hôpitaux sont en attente, leurs services d’urgence informés de la procédures pour la réception des patients et l’adressage des tests (qui ne se font que dans les rares labos de référence), mais ils improvisent leur solution : dédoublement du circuit d’accueil et de prise en charge, ou triage dans des locaux temporaires, ou tentes montées à l’extérieur des bâtiments (cf. Ebola) et parfois le pré-triage par des secouristes de la Croix-Rouge. Mais les moyens de protection sont d’ores et déjà rationnés, un masque par jour et par soignant ! (Bordet, St Luc…)

 

Le British Médical Journal, dans sa livraison du 6 mars, donne aux médecins généralistes les conseils suivants, rédigés par le NHS :

  • Gestion préférentielle par téléphone
  • Si malgré tout un patient se présente au cabinet, le service d’accueil le renvoie chez lui ou appelle le 111 pour transport en ambulance vers l’hôpital, selon la symptomatologie. Rappelons qu’en Grande Bretagne, les MG travaillent en sein de véritables PME avec accueil, secrétariat, collaborateurs administratifs, infirmières, économiste gestionnaire des admissions hospitalières, petite chirurgie, etc.
  • Si le patient a « passé » ce filtre, et que le diagnostic se révèle en cours de consultation, le médecin quitte immédiatement le local de consultation, y enferme le patient en ouvrant la fenêtre et en arrêtant l’air conditionné, et appelle le 111. Le local sera désinfecté ensuite.
  • Le MG continue ses activités dans un autre local

 

Je ne vois pas comment transposer ce modèle chez nous, où les cabinets ne sont pas des petites cliniques, mais disposent seulement d’un nombre limité de locaux professionnels. À moins de monter une tente de camping (celles de la Croix-Rouge étant vraisemblablement trop grandes) dans leur jardin ou dans leur entrée de garage, ou encore de transformer leur cave en local de filtrage spécifique ?

 

Faute de pouvoir se procurer les moyens de protection adéquats, les associations de médecins généralistes annoncent, à juste titre, suivre les recommandation du Collège de médecine générale et basculer d’un modèle classique d’accueil du patient -malade présumé ou avéré – vers un triage téléphonique avec ou sans support vidéo, pour décider d’adresser le patient à l’hôpital ou de le confiner à domicile, le suivi se faisant aussi par téléphone ; les prescriptions et certificats suivront.

 

Ce qui précède démontre que faire des beaux plans, et mettre en ligne des documents, aussi élaborés soient-ils, ne suffit pas. Il faut aussi s’assurer d’une chaîne opérationnelle efficace, et ce compris s’assurer de approvisionnements et de leur distribution. Il faut aussi, et surtout, comme dans toute organisation complexe, faire remonter et savoir écouter les observations des acteurs de terrain. Et confier le tout à un leadership identifié, véritable Task force, unique, disposant de l’autorité indispensable. 9 (neuf !) ministres ayant des portefeuilles santé, des bourgmestres qui se veulent plus malins, des administrations rigidifiées par la hiérarchie, tout ceci explique l’exaspération des soignants, le désarroi de la population, et le fait que nous ne sommes pas vraiment prêts.

 

Dr. J de Toeuf

Président honoraire de l'ABSyM

 

 

 

À propos de l'ABSYM

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